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Les mécanismes de la traite dans les bidonvilles

Les bidonvilles en France font figure d’exception en Europe. Leur apparition est liée à la politique française du logement. 

Ces zones de non-droit sont laissées à l’abandon par l’Etat et abritent des personnes sans droit ni titre.

La plupart sont originaires d’Europe de l’Est et sont venues en France pour fuir la précarité ou la discrimination.

Dans ce contexte, certains pionniers de la migration, arrivés avant les autres, se sont improvisés « gestionnaires » des bidonvilles et profitent de la situation pour monnayer tout un ensemble de services (droit d’entrée, logement, électricité, accès à l’alimentation, accès au travail…) à une population vulnérable qui n’a nul autre endroit où aller, et qui est de ce fait totalement dépendante d’eux. 

A l’intérieur de ce système parallèle, les risques d’exploitation et de traite sont extrêmement importants.

Un terreau favorable à de nombreuses formes d’exploitation

Les bidonvilles sont souvent organisés en communauté villageoise. Les habitants proviennent en général de la même zone rurale. Le sentiment d’appartenance au groupe est fort, ce qui renforce l’isolement social des personnes et la dépendance envers les « gestionnaires », appelés aussi « chef de platz ».

Les habitants des bidonvilles ont souvent très peu de ressources et ne possèdent aucun moyen de défense ou recours pour échapper à l’emprise des « chefs de platz ».

Dans ce contexte, l’exploitation et la traite peuvent prendre plusieurs formes. 

Pour accéder à un travail, les habitants doivent passer par des intermédiaires qui vont leur prélever une partie de leur salaire et / ou monnayer le transport pour se rendre au travail.  C’est ainsi que l’on bascule dans l’exploitation économique. 

Les grossesses et unions précoces, s’apparentant à du mariage forcé, sont aussi fréquents dans ce milieu. Ils concernent des filles de 13 ou 14 ans, dont le discernement et le consentement n’est pas possible. Vivant au sein de leur belle-famille, les risques d’exploitation domestique, voir de mendicité forcée, sont très forts.  

Enfin, l’exploitation sexuelle est très présente en bidonvilles. C’est un moyen de subsistance pour des victimes totalement dépendantes de leurs auteurs.

bidonville

Favoriser le repérage des situations de traite

Pour lutter contre ces formes de traite, il est essentiel d’améliorer le repérage des situations d’exploitation. Cela nécessite d’accompagner et de former l’ensemble des acteurs de première ligne sur le terrain (associations, institutions publiques, Protection Maternelle Infantile, Aide Sociale à l’Enfance) mais aussi de seconde ligne (magistrats, juges pour enfants, autorités judiciaires) afin de leur donner les indicateurs leur permettant d’identifier les cas de traite. 

En effet, dans ce contexte, la parole des victimes est contrôlée et il est difficile d’y avoir accès. Il s’agit donc de démasquer les situations d’exploitation par l’observation.

Ensuite, il est fondamental d’œuvrer en priorité pour la protection des victimes en soutenant les acteurs de terrain dans la recherche de solution face à chaque situation rencontrée. 

Protéger les victimes de traite malgré l’inaction de la justice

Aujourd’hui, pour la justice française, les affaires de traite dans les bidonvilles ne sont pas une priorité. C’est pourquoi elles donnent rarement lieu à des enquêtes pénales.

De ce fait, pour protéger les victimes, il est plus efficace de passer directement par les magistrats, l’inspection du travail ou les services publics.

En effet, un juge pour enfant peut être saisi en cas de mariage forcé ou de grossesse précoce. Les inspecteurs du travail peuvent diligenter des contrôles en cas de situation abusive. Certains services publics permettent de trouver un logement à des personnes endettées, ce qui peut répondre au besoin d’éloignement et de protection de certaines victimes d’exploitation économique ou sexuelle…

Et une fois protégées, les personnes peuvent alors porter plainte et s’engager dans une procédure judiciaire.

Aujourd’hui en France, la politique de résorption des bidonvilles a pris conscience que l’organisation criminelle de ces zones de non-droit était un frein pour y mettre un terme. Le travail social classique est entravé par ces phénomènes de traite car les « chefs de platz » ont intérêt à ce que les bidonvilles perdurent pour préserver leurs profits. 

Les enjeux sont donc aujourd’hui plus clairs, ce qui laisse espérer une action politique plus pertinente pour mettre fin à ces phénomènes de traite dans les bidonvilles.

 

L’association KOUTCHA

 L'association Koutcha a pour objectif de proposer un dispositif d’accueil particulier permettant aux mineurs victimes de traite de se libérer de l’emprise qu’ils subissent ; de bénéficier d’un accompagnement leur permettant de se reconnaître en tant que victime de traite des êtres humains et d’adhérer à un programme pédagogique individualisé, dans le droit commun, leur permettant d’intégrer après un certain temps un dispositif plus classique. Olivier Peyroux est sociologue, spécialisé sur le phénomène de la traite des êtres humains, des mineurs en particulier. Chercheur et engagé sur le terrain, il est l’auteur de plusieurs publications sur le sujet.


Article écrit en collaboration avec Olivier Peyroux, sociologue et président de l'association Koutcha